L’ÉDUCATION COÛTE TROP CHER? ESSAIE L’IGNORANCE POUR VOIR…

On a vu entre 12 000 et 20 000 étudiants dans les rues de Montréal ce jeudi manifester contre la hausse des frais de scolarité de 325 $ par année sur cinq ans décidée par le gouvernement Charest. D’entrée de jeu, je dois dire que je suis impressionné par la capacité de mobilisation du mouvement étudiant. Sachant que les syndicats étudiants sont des groupes marginaux qui prétendent représenter la vision et les valeurs de tous les étudiants, il s’agit d’un coup de maître et lance un certain message à la ministre Beauchamp. On parle quand même de plus ou moins 15 % des étudiants de Montréal dans la rue sous la pluie. Toutefois, il reste que je ne peux être d’accord avec leurs revendications.

Oui, ça fait chier payer plus cher. Tout le monde est d’accord sur ce point, mais il s’agit d’une hausse nécessaire. Au lieu des pancartes « À mort Charest », il serait bien plus salutaire de jeter la pierre aux gouvernements des quinze dernières années pour avoir pris l’imbécile décision de geler les frais de scolarité. Et encore, il est contre-productif de s’y attarder. Toutefois, l’économiste en moi ne peut que m’indigner; l’inflation est un concept bien connu et réel, le gel signifie, à moyen terme, une baisse constante du coût réel de l’éducation. Entre 1995 et 2011, le coût réel de l’éducation a diminué de 27 %. Alors lorsque les fédérations étudiantes réclament le statu quo, elles forcent la main du gouvernement vers une gratuité tendancielle. Elles gagneraient en crédibilité à réclamer une simple indexation au coût de la vie. Certes, la hausse ne reflète pas seulement l’inflation et le gouvernement profite bien de l’occasion pour hausser généralement le coût des études. On peut s’en offusquer, certainement, mais je suis de ceux qui croient qu’il s’agit d’une bonne chose.

Il est question de compétitivité nord-américaine: il faut que nos universités performent, et pour performer, il faut de l’argent. C’est le nerf de la guerre. On a vu dans les dernières années mille et un article sur l’endettement de nos institutions scolaires et le sous-financement de celles-ci. N’oublions pas qu’il n’est pas dans la tradition québécoise de donner de l’argent à nos Alma mater comme le font nos amis anglo. C’est une faute partagée par l’ensemble de la société qu’il faut compenser quelque part. La hausse servira à dorer le blason de nos universités, à donner une meilleure éducation. On me souffle à l’oreille qu’il n’est pas prévu une hausse des services en lien avec la hausse des frais. C’est problématique. En fait, je crois que depuis quinze ans, nos universités ont tenté de se maintenir dans les standards internationaux. Leur endettement n’en est que symptomatique.

Des deux côtés, j’entends ces arguments comparatifs : «L’Ontario paie plus», «En Suède, c’est gratuit.» Je les ignore tout simplement : il y a beaucoup trop d’autres variables endogènes qui viennent fucker la patente, comme les taux d’imposition et le socialisme scandinave la structure sociale différente dans le reste du Canada.

L’accessibilité aux études reste une préoccupation. Toutefois, j’ai peine à croire que la hausse soit réellement problématique. On ne parle pas d’une hausse de 10 000 $ par année. À 12 000 $ le Bac, ça reste plus que très abordable. À cela on doit ajouter le coût de ne pas travailler, ou pratiquement pas travailler, pendant les trois années d’études, soit approximativement 17 000 $ par année. Un problème financier, oui, mais rien qu’un bon prêt étudiant ne saurait régler. Les études sont un investissement sur soi-même ; la hausse de salaire post-Bac en fait une option très rentable. On pourrait parler d’atteinte à l’égalité des chances seulement si la hausse empêchait toute personne désireuse et motivée à profiter des bancs d’école. Mais encore, toute personne déterminée saura y parvenir. Une hausse indexée au salaire post-diplômation pourrait causer problème : seulement ceux qui ont de l’argent pourraient devenir médecin et les pauvres devront étudier la culture pré-industrielle Nord de l’Azerbaidjan. Aussi fascinant que cela puisse être, les débouchés sont, disons, « limités », pour rester poli.

Là où je ne peux être en désaccord avec les syndicats étudiants, c’est sur le gaspillage des fonds. Des scandales comme l’Îlot-voyageur de l’UQÀM ou une mauvaise gestion des ressources comme il a été rapporté à l’UdeM sont tout bonnement inacceptables. Les étudiants n’ont pas à supporter l’incompétence de certaines institutions. Ils auraient sûrement gagné en soutien dans l’opinion publique en martelant ce clou plutôt que le discours socialo-gauchiste.

Finalement, c’est très certainement chiant que la hausse affecte cette batch d’étudiants en particulier. Ceux avant eux n’ont pas eu à défrayer de tels coûts. Bah oui, mais ça, c’est la vie. On ne va quand même pas aller augmenter rétroactivement les frais de scolarité des étudiants des quarante dernières années.

Une amie m’a dit ceci l’autre jour : « L’ignorance coûtera plus cher que l’éducation ». Il faut voir ça de l’angle opposé: si tu trouves que ton éducation coûte trop cher, essaie l’ignorance.

Benjamin Dionne
Jeune Insolent, le blogue irrévérencieux – www.jeuneinsolent.com

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